Les Krafft, diables des volcans

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Volcanologues passionnés, Maurice et Katia Krafft meurent le 3 Juin 1991 dans une nuée ardente sur le Mont Unzen. Leur vie est digne d’une série TV…

Couple

La Naissance d’une passion

Maurice Paul Krafft est né le 25 mars 1946 à Guebwiller, une commune du Haut-Rhin située à 24 kilomètres de Mulhouse. Il est le fils de Raymond et Élisabeth Krafft, un couple de médecins.

Les parents de Maurice sont passionnés par l’antiquité ce qui les amènera, lui et son frère Bertrand, à faire de nombreux voyages. L’un de ces voyages a lieu en 1956 au Stromboli alors qu’il a dix ans. Pour la première fois, il se retrouve nez à nez avec un volcan et tombe littéralement sous le charme. Curieux, il remarque déjà avec quelle régularité ont lieu les explosions dans le cratère.

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Crédits image : collection Krafft-Conrad

Il se passionne très vite pour la Terre et s’inscrit à 15 ans à la société géologique de France. Il est alors fasciné par le météorologue Alfred Weigener, un passionné de géologie du début du siècle à l’origine de la théorie de la dérive des continents.

En 1967, après avoir décroché une bourse, Maurice retourne sur le Stromboli effectuer un stage de 3 mois en volcanologie. Il profitera de cette expérience pour jouer le rôle de guide auprès des touristes. Peu à peu, il s’habitue au volcan et de là naît son irrépressible envie d’aller toujours au plus près des éruptions.


L’émancipation d’une battante

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Crédits images : collection Krafft-Conrad

Catherine Marie Joséphine Conrad alias Katia Conrad est elle aussi née à Guebwiller le 17 avril 1942. Elle est la fille de Madeleine, institutrice, et Charles, chef d’atelier dans une usine. Ses parents étaient aussi des voyageurs. C’est un voyage sur l’Etna qu’elle demande à ses parents qui confirmera son envie de faire de la volcanologie, virus qu’elle attrape dès la sixième. Dans un premier temps, sa famille aura du mal à accepter sa décision. Sa mère surtout, voudrait qu’elle devienne une institutrice comme elle. En 1957, elle entre à l’école normale supérieure de Guebwiller. Afin de contenter sa mère, elle enseigne les sciences naturelles pendant un an au collège d’enseignement supérieur de Mulhouse. Finalement, à 19 ans, Katia finit par suivre la voie qu’elle a choisit.

Katia a finit par choisir sa voie : celle des volcans

Elle réalise alors une licence de sciences physique puis entame un master de géochimie à l’Université de Strasbourg.

C’est par le biais d’un ami commun que Maurice et Katia font connaissance, alors qu’ils sont tous les deux à l’université de Strasbourg. Cet ami commun n’est autre que Roland Haas, un autre volcanologue. C’est un très proche de Maurice avec qui il a fondé la “KraftHaas”, une petite association de volcanologie alors qu’ils étaient au collège.
La première rencontre entre Maurice et Katia  a lieu en 1966, lors d’un rendez-vous au café de la Victoire à Strasbourg. Bien entendu, pendant toute la durée du rendez-vous, ils parleront volcans.
Très vite, ils tombent amoureux, trop heureux de trouver quelqu’un qui partage la même passion. Ils se marient, puis en guise de voyage de noces, partent explorer les volcans des îles éoliennes, un chapelet d’îles au large de la Sicile parmi lesquelles se trouve le Stromboli.


Des témoins célèbres

En 20 ans, les Krafft auront vu plus de 150 volcans en éruptions.

Pour vous donner une idée de la grandeur du chiffre, c’est comme si vous alliez voir 8 volcans en éruption par an.

En 20 ans, les Krafft ont vu 150 éruptions

Parmi ces éruptions, il y en a des particulièrement notables.

La première éruption qui va les faire connaître est celle de l’Eldfell en Islande en Janvier 1973. Celle-ci fait pas mal de bruit à l’époque car, bien que relativement inoffensive, elle est particulièrement impressionnante. Une fissure de feu de 1800m s’ouvre sur une île de seulement 10km où résident 5000 personnes. Les médias s’emparent vite de la scène digne d’un film catastrophe et n’hésitent pas à donner dans le catastrophisme, allant même jusqu’à supposer que l’île va exploser.

C’est suite à cette éruption qui aura duré 157 jours que les Krafft acquièrent une notoriété qui ne cessera pas de grandir.

Après cet épisode, ils entreprennent de faire le tour des volcans explosifs d’Indonésie pendant 6 mois afin d’étudier la possibilité de produire de l’énergie géothermique pour les indonésiens. Ils iront notamment sur le volcan Anak Krakatau, le fils de Krakatoa, un volcan dont on évoquera la spectaculaire éruption dans une DisaStory. Là-bas, ils voueront une véritable fascination pour le phénomène des nuées ardentes : un mélange d’air et de gaz brûlants, de cendres et de projectiles lancés à près de 200 km/h. Ce phénomène est encore assez mal connu aujourd’hui car il est difficile à observer.

Bien que la liste des volcans qu’ils aient visité soit longue, il y en a un qui est particulièrement connu pour l’attention qu’il a suscité auprès des médias. Le 18 mai 1980, le mont St-Helens explose. Ce volcan américain est situé dans l’état de Washington, au nord-ouest des Etats-Unis. Son explosion était prévisible mais n’était pas attendue aussi vite, si bien que Maurice et Katia loupent l’éruption. C’est certainement une chance. Sur place, l’observatoire dans lequel ils devaient se rendre à été littéralement rasé par une nuée ardente. L’un de leurs homologues américain, David Johnston, trouve la mort dans cet observatoire alors qu’il remplaçait l’un de ses collègues. En effet, le volcanologue qui devait observer le comportement du volcan ce jour là est attendu pour un entretien dans une université en Californie. Cet homme s’appelle Harry Glicken.

Retenez bien ce nom.

Malgré leur absence le 18 mai, les Krafft arriveront tout de même sur les lieux au mois de Juillet pour constater les dégâts et étudier les boues générées par le mélange cendres-eau. En fait, ils en sont convaincus, l’éruption n’est pas terminée. Plusieurs survols en hélicoptère leurs permettent de constater la présence d’un dôme de lave au fond du cratère.

Le 22 Juillet, après une intense séance photo autour du volcan, Maurice est à court de pellicule. A contre-cœur ils partent se réapprovisionner à Vancouver. Au même moment, le Mont St-Helens entre à nouveau en éruption.

Ils réussiront tout de même à se rendre sur place à bord d’un avion et seront aux premières loges pour admirer la beauté du panache de cendres pris dans la lumière d’un magnifique coucher de soleil.

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Le Mont St-Helens dans toute sa splendeur

Cet événement ne fera que renforcer la passion de Maurice pour ce que l’on appelle les volcans gris, c’est-à-dire les volcans explosifs situé aux abords des zones de subduction.

Ces mêmes volcans gris lui coûteront la vie quelques années plus tard.


Des professionnels respectés

Beaucoup s’accordent à dire que les Krafft étaient de véritables casse-cou, toujours prêts à aller au plus près du magma pour réaliser des clichés inédits. Pourtant, à entendre Maurice, ça n’est pas si risqué que ça.

Oui bon, après je rappelle qu’à l’époque les autoroutes étaient sûrement beaucoup moins sûres qu’aujourd’hui.

Les Krafft n’ont pas toujours été que tous les deux à explorer les cratères. C’était même assez rarement le cas. La plupart du temps, ils étaient accompagnés par des porteurs, souvent des locaux, qui les guidaient et les aidaient à porter leur imposant matériel. Mais il arrivait aussi souvent que les Krafft soient accompagnés par des personnes un peu plus averties. A leurs débuts, Maurice créé l’équipe vulcain, un groupe de passionnés de volcanologie, experts ou amateurs. Même si le couple se détache très vite de l’équipe, il se crée un véritable réseau d’amis, pour la plupart géologues, volcanologues ou passionnés. Parmi ceux-là, André Demaison, un scénographe et ami intime qui les a suivi pendant 15 ans. M’Toto, comme l’appelait Maurice, est l’auteur d’un livre intitulé “Maurice et Katia Krafft, les diables des volcans”, un très bon livre que je vous conseille de lire.

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Le livre d’André Demaison fait directement référence au surnom des Krafft

Le nom du livre fait en effet référence au surnom que les américains avaient donné au couple de volcanologue : “The Volcano devils”. Ça a de la gueule non ? Ce surnom ne vient pas de nulle part. On imagine souvent les Krafft plus comme des aventuriers que comme des volcanologues.

En effet, Maurice Krafft était un Indiana Jones des temps modernes. Pour s’en convaincre, il suffit d’évoquer cette fois où il a embarqué dans un canot sur un lac d’acide, juste “pour le fun”. Il prévoyait même de réitérer son exploit sur de la lave si le matériel de l’époque le lui avait permis. En effet, je rappelle qu’encore aujourd’hui, naviguer sur un torrent de roches en fusion à 1200°c n’est pas une très bonne idée si vous voulez rester en vie.

Mais Maurice, tout comme Indiana Jones, avait une vie entre deux expéditions.

Maurice n’était pas seulement un aventurier, c’était aussi un conférencier

Celui-ci enchaînait les conférences en France et dans le monde. Conférences pendant lesquelles il présentait les films qu’il avait eu l’occasion de tourner sur place ainsi que les clichés pris par Katia. Pendant ce temps, Katia elle, passait plus de temps sur les volcans. Ça avait d’ailleurs le don d’énerver Maurice qui estimait avoir vu moins d’éruptions qu’elle. Pourtant cette activité de conférencier était indispensable à leurs recherches car c’est ce qui leur permettait d’avoir les fonds nécessaires pour partir. Ils étaient invités à tous les colloques internationaux de volcanologie car leurs clichés étaient uniques et souvent sublimes. Cela changeait des conférences classiques ou les chercheurs présentaient leurs recherches de manière souvent très théorique et à l’aide de schémas plutôt que de photos.


Un couple soudé

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La bibliothèque des Krafft : un paradis pour tous passionnés de volcans

Les Krafft étaient complémentaires. Leurs proches s’accordent a dire que l’un n’allait pas s’en l’autre. On les voit souvent comme un couple dans le travail mais c’est oublier a quel point ces deux personnes ont du s’aimer.

Maurice est décrit comme quelqu’un d’entier, naturel, un peu bourru, qui n’hésite pas à dire ce qu’il a à dire. Peut-être tient-il cette force de caractère d’un autre volcanologue, un certain Haroun Tazieff. Petit, il dévore ses récits et regarde ses films. Il aura la chance d’intégrer son équipe en 1967. Tazieff veut en faire un bon soldat, il fait miroiter à Maurice une place définitive d’assistant.

En fait, il déchantera vite. A l’issue d’une émission “Les rendez-vous de l’Aventure” qu’il présente, il se rends compte du potentiel de communication incroyable de Maurice. Tellement incroyable qu’il arrive même à effacer Tazieff qui ne placera pas grand chose durant l’émission. Depuis il vouera une forme de haine au Krafft, même après leur mort.

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Légende de la volcanologie et ancien mentor de Maurice, Tazieff ne pardonnera pas aux Krafft leur célébrité grandissante

A n’en pas douter, cet épisode à du véritablement décevoir Maurice qui voyait en Tazieff son mentor.

Comme Tazieff en a fait l’expérience, Maurice est un grand orateur, ce qui est un fort atout dans un métier aussi peu reconnu à l’époque. C’est grâce à ce don qu’il arrivera à obtenir des sponsors pour financer certaines de ses expéditions. Il obtiendra notamment des véhicules de la part de constructeur automobiles tels que Renault, ou financera ses vols grâce à un partenariat avec Air France.

Katia, elle, est beaucoup plus réservée. Pourtant, toutes les personnes qui l’ont côtoyées ont vue en elle une forme de force. Car de la force il en faut pour exercer ce métier, qu’il s’agisse de force physique ou mentale. Dans son cas, on parlera surtout d’une force tranquille. Elle est douce, apaisante et malgré son apparente discrétion, est indispensable. C’est souvent elle qui gère la logistique des voyages, Maurice voulant passer le moins de temps possible à faire autre chose que de penser volcan.


Ce train de vie éreintant ne laissait que très peu de place à une vie de famille.
D’ailleurs, les Krafft savaient dès le début qu’ils n’était pas question d’avoir des enfants.
Leur passion était si dévorante qu’il était impensable de passer une seule journée sans penser aux volcans.
D’ailleurs, s’en était devenu à tel point que leur famille ne les voyait pas beaucoup.

Entre deux expéditions, quand il ne se passait rien d’autre ailleurs, ils revenaient dans leur Alsace natale pour écrire un livre par exemple.
Ils habitaient Mulhouse. Leur maison était un véritable paradis pour passionnés de volcans.
Ils avaient constitué une bibliothèque de 4600 volumes consacrés aux volcans, ainsi qu’une collection de peinture, de films d’archive et bien sur de roches volcaniques.

Le couple ne s’imaginait pas vraiment passer leurs vieux jours dans la campagne Alsacienne mais plutôt sur l’île d’Hawaï. Ils avaient d’ailleurs acheté un terrain là bas.

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Le couple rêvait de couler une retraite paisible à Hawaii. On se demande bien pourquoi…

Difficile d’imaginer ce couple hyperactif faire des plantations dans leur jardin la retraite venue.

Quand Katia reprochait à Maurice le jardin laissé en friche pendant leurs longues absences, celui-ci répondait “la botanique ce sera bon pour la retraite.”

Mais malheureusement, on ne connaîtra jamais les talents de jardinage de Maurice…


Une fin tragique

27 mai 1991.

Maurice et Katia sont invités en Martinique à l’inauguration d’une salle d’exposition sur la Montagne Pelée.

Ce jour-là, ils apprennent que le volcan Unzen situé au Japon est en train d’entrer en éruption.

Cela fait plusieurs jours qu’ils s’informent sur l’état du volcan.

Le mont Unzen est l’un de ces volcans gris qui passionnent tant Maurice, vous savez les explosifs dont je vous parlai tout à l’heure. Il est donc impensable de ne pas se déplacer pour assister a l’éruption.

29 mai

Le couple arrive au Japon. A Shimbara plus précisément, une ville située à proximité de l’Unzen. Là-bas ils retrouvent Harry Glicken.

Si vous avez bien suivi, c’est le même volcanologue qui devait être sur le mont St-Helens à la place de David Johnston le 18 mai 1980.

Pendant plusieurs jours, le trio souhaite se rendre au plus près du volcan mais le temps ne s’y prête guère.

3 Juin

Les autorités décident finalement de laisser la presse se rendre très près du volcan pour quelques heures seulement, au village de Kita Kamikoba.

Comme a leur habitude, les Krafft souhaitaient survoler le volcan. Malheureusement, sur place, tous les hélicoptères sont réquisitionnés par la presse.

A 16h08 heure locale, une partie du dôme du volcan s’effondre.

Le souffle généré se transforme en nuée ardente qui rase tout sur son passage à une vitesse de 150 km/h.

Une trentaine de personnes trouvent la mort. Parmi eux, nos deux volcanologues et Harry Glicken, qui cette fois-ci, n’a pas eu de seconde chance.

Les corps de Maurice et Katia seront retrouvés le 5 Juin, l’un à côté de l’autre comme ils l’ont toujours été.

Une semaine plus tard, le volcan philippin Pinatubo déclenche l’une des éruptions les plus impressionnantes du siècle. Les Krafft n’auront certes pas eu la chance de visualiser l’éruption mais grâce à eux, des centaines de milliers de personnes seront épargnées.

Les Krafft décèdent en 1991 dans une nuée ardente sur le mont Unzen

Un héritage sous-estimé

Aujourd’hui, quel héritage nous ont laissés Maurice et Katia Krafft ?

Bien sur on peut citer les nombreux clichés extraordinaires pris par Katia qui ont permis de constituer une collection de 300.000 diapositives, utiles pour illustrer les cours des enseignants et des chercheurs.

On peut également évoquer la mise au point par Katia en 1969, du chromatographe de terrain. Le prix de la vocation qu’elle reçoit cette année là lui permettant de le financer. Le chromatographe est un appareil utilisé pour analyser la composition des gaz émis par le volcan.

Mais le plus grand héritage des Krafft, c’est d’avoir contribué à la vulgarisation du métier de volcanologue et à la sensibilisation des risques volcaniques. En 1985, des équipes de journalistes et de géologue remettent plusieurs rapports au gouvernement pour avertir de l’imminence de l’éruption du volcan Nevado Del Ruiz en Colombie. Ces avertissements étant jugés trop alarmistes, aucune mesure n’est prise pour évacuer la population. Le 13 Novembre 1985, le Nevado Del Ruiz entre en éruption et cause la mort de 23.000 personnes, en blesse 4500 et tue 15.000 animaux.

Pour les Krafft, un tel drame aurait pu être évité. Furieux de n’avoir pas été pris au sérieux par les autorités, ils se servent de l’événement pour créer un film de sensibilisation à ce type de risque : Understanding Volcanic Hazards. C’est précisément ce film qui aura permis l’évacuation de 300.000 personnes lors de l’éruption du Pinatubo.

Mais Maurice ne souhaite pas seulement avertir les populations du danger, il veut aussi créer des vocations. C’est pourquoi, le couple est l’instigateur de nombreux projets parmis lesquels la cité du volcan sur l’île de la Réunion ou encore le parc européen Vulcania en Auvergne.

En 2017, Vulcania accueille encore une exposition permanente sur les deux volcanologues. J’y suis allé il y a quelques années et j’ai franchement adoré, alors n’hésitez pas. On peut notamment y voir la montre de Maurice qui s’est arrêtée au passage du souffle de la nuée ardente. Cela fait froid dans le dos… 

Malgré qu’ils soient partis trop tôt, Maurice et Katia Krafft laissent derrière eux un héritage considérable : ils ont bouleversé la vision que l’homme avait des volcans. Pour ma part, j’ai toujours été admiratif de ces deux personnes : des gens passionnés, humbles et qui inspirent le respect.

Toutes les vidéos présentées dans cet article sont issues du documentaire “Au rythme de la Terre”.

Sources de l’article :

Sources INA :

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